« Les banques sont aujourd’hui détentrices d’un patrimoine de datas »

François Evrad, Partner, Colombus Consulting

Ne parlez plus de transformation digitale. Après dix années de digitalisation de leurs outils, les banques sont aujourd’hui « détentrices d’un patrimoine de datas », qu’elles se doivent d’optimiser. L’exploitation et l’optimisation de ce patrimoine passeront nécessairement par l’utilisation de l’intelligence artificielle. Le point avec François Evrard, Partner, Colombus Consulting.

Quelles sont les problématiques actuelles des établissements bancaires ? 

Tout dépend de la branche dans laquelle elles opèrent (banque de détail, banque privée, asset management...). Si on prend les activités de banque de détail, fin 2023, les résultats financiers n'étaient pas au beau fixe pour ses divisions. En effet, elles ne bénéficiaient pas encore pleinement de la remontée des taux directeurs de la banque centrale et pâtissaient d'un ralentissement de la production de crédit immobilier générateur de PNB.  Dans un contexte d’inflation, de stagnation du PNB, de volonté d'autonomie des clients pour réaliser des opérations bancaires couplés à des difficultés de recrutement, les banques de détail se posent toute la question de savoir de quelle façon valoriser leur réseau d'agences. Ces établissements bancaires sont à la recherche d’efficacité opérationnelle et l’intelligence artificielle est clairement identifiée comme un levier d’optimisation.  

Quelles sont leurs attentes vis-à-vis de l’IA ? 

La proposition de valeur permise par l’IA telle qu’anticipée par les établissements s’établit à 500 millions d’euros / an à horizon 2025 pour les grands acteurs français. Il s’agit là de l’effet conjoint d’une réduction des coûts et du développement de nouveaux produits et services grâce à l’utilisation de l’IA. 

Quels sont aujourd’hui les cas d’usage de l’IA dans la banque ? 

Il faut savoir que l'intelligence artificielle est utilisée de longue date dans la banque. Des modèles de machine learning sont largement utilisés dans la lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent. Ils permettent de systématiser les contrôles et d'identifier des schémas de fraude. L’IA est également utilisée pour améliorer la relation client. Les robots conversationnels ou chatbots actuels sont capables de répondre à des questions simples ou d'orienter la demande vers le bon interlocuteur en cas de questions complexes. Ce traitement plus rapide a une incidence sensible sur la satisfaction client. Les avancées de l’IA conversationnelle (ou générative) ouvrent un nouveau champ des possibles. En effet, on peut imaginer demain, un chatbot boosté à l'IA conversationnelle empathique et capable de traiter des demandes plus complexes. Pour l'instant, rien de tel n'est en production dans le secteur bancaire à ma connaissance.  

Où en sont aujourd’hui les banques dans l’adoption des IA conversationnelles ? 

Après une fin d'année 2022 marquée par le buzz Chat-GPT, 2023 a été une année de défrichage pour les banques. Pour des raisons de sécurité et de confidentialité des données (les banques manipulent des données sensibles), elles ont dû d'abord mettre en place des environnements informatiques sécurisés hébergeant ces IA génératives pour pouvoir les tester puis les industrialiser. Certaines ont fait le choix d'héberger en interne des modèles d'IA génératives, d'autres d'utiliser les modèles proposés par leur fournisseur d'hébergement sur le cloud. En parallèle, elles ont recensé les cas d'usage avec les métiers. Il est donc vraisemblable de voir les 1ers cas d'usage passer à l'échelle en 2024. Aujourd'hui, le cas d'usage le plus mature est la gestion documentaire. Ainsi, en banque de détail, un banquier passe en moyenne une heure par jour à rechercher de l’information client, une procédure interne ou tout autre document utile à son activité. En structurant la base documentaire avec une IA et en la questionnant via un chatbot, il est possible de permettre à chaque banquier d’obtenir rapidement la bonne réponse à sa requête. Ce type d’amélioration majeure pose la question du passage à l’échelle. Prenez par exemple un établissement bancaire avec 10 000 conseillers. Offrir la possibilité pour ces 10 000 conseillers de questionner simultanément un modèle composé de milliard de paramètres, va nécessiter des capacités de calcul et donc énergétiques importantes.  C'est pourquoi, on voit une offre de modèles plus petits, moins énergivores, tout aussi performant mais spécialisés dans un domaine émerger. La question de la puissance de calcul (plus accessoirement de l'empreinte écologique) n'est pas le seul frein à l'usage de l'IA générative en entreprise. Les sujets d'éthique autour des données d'entrainement et de fonctionnement des modèles sont également des sujets d'attention pour les banques et pour le législateur. En effet, le secteur attend de savoir comment sera décliné l'IA act de l'union européenne et ce qui sera demandé précisément aux banques ainsi qu'aux fournisseurs de solution. L'enjeu étant de trouver un équilibre entre protection des citoyens et développement d'une filière européenne. 

Verrons-nous émerger de vraies révolutions grâce à l’IA dans la banque en 2024 ? 

Beaucoup de banques communiquent sur l’IA générative. Cependant, à ce stade, il existe très peu de cas d’usage en production. À mon sens, l’année 2024 sera l’année de l’entrée dans le réel, avec toutes les déceptions possibles. C'est le fameux cycle de la "hype" du Gartner. En 2023, les attentes autour de l'IA conversationnelle ont été très élevées. Avec la mise en production en 2024 des 1ers cas d'usage, nous allons tomber "dans le creux des désillusions". Puis les technologies vont se perfectionner pour atteindre le "plateau de productivité". Tout cela prendra plusieurs années. En tout état de cause, l'IA conversationnelle va bousculer le métier de banquier en automatisant des tâches appelant le langage. Une chose est sure, le banquier de demain va devoir faire preuve plus que jamais de discernement dans ses interactions avec ses IA.

Chloé Consigny

Journaliste professionnelle et indépendante, elle collabore avec plusieurs médias français et internationaux. Pour plus de détails, c’est ici et pour lui écrire c'est ici.

http://www.chloeconsigny.com/
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